Maroc-Algérie, le conflit oublié du Sahara occidental

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Maroc-Algérie, le conflit oublié du Sahara occidental

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Un document photo publié par la page Facebook de l'Armée royale marocaine le 13 novembre 2020 montre des membres du Front Polisario quittant leur camping près de la frontière mauritanienne à Guerguerat, situé au Sahara occidental.
Un document photo publié par la page Facebook de l'Armée royale marocaine le 13 novembre 2020 montre des membres du Front Polisario quittant leur camping près de la frontière mauritanienne à Guerguerat, situé au Sahara occidental.
© AFP

La face cachée du globe. Regain de tension entre le mouvement indépendantiste du Front Polisario, soutenu par l’Algérie, et le Maroc, à l’extrême sud du Sahara occidental. L'armée marocaine est intervenue vendredi au poste frontière de Guerguerat, à la frontière avec la Mauritanie, pour rouvrir le trafic routier.

Le Maroc a mené vendredi dernier une opération militaire au Sahara occidental à Guerguerat pour débloquer le trafic routier vers la Mauritanie. Depuis trois semaines, le poste frontière de Guerguerat, à l’extrême sud du territoire désertique, était obstrué par des centaines de Sahraouis venus manifester pour demander l'organisation d'un référendum sur leur autodétermination. Le Polisario qui représente les Sahraouis estime lui que l'intervention du Maroc constitue une violation du cessez-le-feu de 1991. Il a décrété "l'état de guerre" et affirme que des combats se poursuivent. Cette opération s'est déroulée "sous les yeux de la Minurso", la force d'interposition de l'ONU.

Vaste étendue désertique de 266 000 km2 bordant la côte Atlantique au nord de la Mauritanie (carte ci-dessous), le Sahara occidental est le seul territoire du continent africain dont le statut post-colonial n'a pas été réglé. Après le départ de la puissance coloniale espagnole en 1975, le Maroc a pris le contrôle des trois quarts de ce territoire qu'il considère comme partie intégrante du royaume. Soutenu par l'Algérie, le Polisario en contrôle l'autre tiers.

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Entretien avec Kader Abderrahim, directeur de recherches à l'IPSE, pour qui ce regain de tension entre le Polisario et le Maroc va vite retomber.

Kader Abdehrrahim : "pour parler franchement, il n’y aura pas de référendum. On n’’imagine pas un instant que le Maroc renonce au Sahara aujourd’hui".

2 min

Comment expliquez-vous le regain de tension au Sahara occidental ?

Il y a un regain de tension, c’est indéniable entre le Maroc et les indépendantistes du Polisario. Je crois qu’il faut le lire dans le contexte régional dans lequel l’Algérie est privée de son Président qui se trouve toujours hospitalisé en Allemagne depuis plusieurs semaines. Il semblerait que le Polisario ait cherché à profiter de cette situation pour tenter de pousser à son avantage. Cela montre aussi que les Nations unies ne parviennent pas à régler cette question qui dure depuis 1975. Ce qui fait 45 ans pour lequel il n’y a pas beaucoup de perspectives politiques de règlement de ce conflit et encore moins évidemment d’une intégration régionale du Maghreb central.

Est-ce que le cessez-le-feu est vraiment menacé ?

Je ne pense pas. Et je ne pense pas que la situation se dégradera. Je pense qu’il s’agit d’un regain de tension dans un contexte politique un peu trouble : que ce soit les élections américaines et l’attente de la passation de pouvoir entre Donald Trump et Joe Biden, des tensions diplomatiques et militaires en Méditerranée avec la Turquie, d’une Algérie qui ne semble pas trop savoir où elle va sur le plan diplomatique, d’un Maroc plutôt offensif qui s’est redéployé sur le continent africain. Donc tout cela amène une redéfinition géopolitique dont le Polisario cherche à profiter. Mais je ne suis pas sûr qu’il ait les moyens sur le plan des rapports de force de pousser cet avantage.

Journal de 18h
16 min

Les Sahraouis manifestent pour réclamer la tenue d’un référendum sur leur autodétermination, comme les Nations unies leur ont promis ?

Pour parler franchement, il n’y aura pas de référendum. On n'imagine pas un instant que le Maroc renonce au Sahara aujourd’hui. Par conséquence, je crois qu’il faut chercher les voies d’un compromis direct entre les différents acteurs de ce dossier quels qu'ils soient. Le Maroc a fait une proposition, elle est sur la table, celle d’une autonomie très large du Sahara. C'est-à-dire que le Maroc ne peut pas accepter que sa souveraineté sur le Sahara devienne un enjeu. 

Le Sahara occidental
Le Sahara occidental
© AFP - Adrian Leung
Les Enjeux internationaux
11 min

Événements de Gdeim Izik : dix ans de détention arbitraire

Cette crispation à Guerguerat intervient exactement dix ans après les événements de Gdeim Izik pendant lesquels le Maroc avait par la force démantelé le campement de Sahraouis réunis pour une réclamer leur indépendance et dénoncer leurs discriminations sociales et économiques. Treize policiers avaient été tués et vingt-cinq Sahraouis arrêtés. Dix-neuf hommes sont toujours emprisonnés depuis octobre 2010 dont celui considéré comme l'investigateur de la révolte. Naama Asfri a été condamné à 30 ans de réclusion. 

Entretien avec sa femme Claude Mangin, qui se bat pour sa libération.

Claude Mangin : "Il est détenu depuis 10 ans. C’est un prisonnier politique et d’opinion sans les droits qui vont de pair".

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A quand remonte votre dernière rencontre avec votre mari ?

Janvier 2019. Mais j’étais interdite de séjour au Maroc depuis octobre 2016, donc une visite en 4 ans. Nous restons en contact par téléphone, une fois par semaine. Il m’appelle du téléphone public de la prison. La semaine dernière, nous nous sommes parlés un peu plus longuement. Il m’a dicté le texte qu’il avait écrit pour le dixième anniversaire de Gdeim Izik. Il l’a intitulé "le droit à la colère", dix ans après le début de son incarcération. C’est un texte dans lequel il explique comment l’ONU s’est complètement discréditée sur le dossier du Sahara occidental. Le peuple sahraoui attend depuis trente ans l’organisation du référendum d’autodétermination. Il s’est révolté en 2010. Et pendant quatre semaines, les Sahraouis ont monté ce qu’ils ont appelé "le campement de la dignité, de la fierté et de la liberté", à 10 kilomètres de la "capitale" du Sahara occidental, Laâyoune, "occupée" par le Maroc et qui a été démantelée par la violence par l’armée marocaine. Naâma a été accusé d’être responsable des morts qui ont eu lieu : onze policiers ont été tués alors que mon mari avait été arrêté la veille. Il est condamné à 30 ans de réclusion au Maroc.

Votre mari est-il soumis à davantage de restrictions parce qu’il est un prisonnier politique ?

Depuis la fin du deuxième procès en appel, en juillet 2017, tous les prisonniers dits de Gdeim Izik, ils sont encore dix-neuf, ont été dispersés dans plusieurs prisons au Maroc. Ils sont soumis à des restrictions graves puisqu’ils peuvent être à l’isolement 23 heures sur 24 pendant des centaines de jours. Ce qui est une torture psychique. Mon mari est engagé dans la lutte pour l’indépendance du Sahara occidental depuis quinze ans. Quand j’ai connu Naâma, il y a dix-neuf ans maintenant, il n’était pas autant impliqué. Il était étudiant en France. Il est le fils d’un disparu Sahraoui qui a été libéré au bout de 16 ans. Il n’a donc pas grandi avec son père. Mais il a voulu retourner au Maroc pour le voir. Et c’est à partir de 2005 que Naâma a rejoint la cause sahraouie. Et à ce titre, il a été harcelé pendant des années jusqu’à ce qu’il fasse de la prison. Puis les événements de Gdeim Izik l’ont amené une nouvelle fois derrière les barreaux il y a dix ans. Il est détenu depuis dix ans. C’est un prisonnier politique et d’opinion sans les droits qui vont de pair.

Naâma Asfri crie à l’injustice, ses aveux ont été obtenus sous la torture ?

Mais ce n’est pas seulement lui qui crie à l’injustice. C’est le Comité contre la torture de l’ONU de Genève qui a condamné le Maroc pour faits de torture sur Naâma. Et c’est bien cela qu’on ne lui pardonne pas. Et qu’on ne me pardonne pas non plus. Et nous subissons la vengeance coloniale. Pendant quatre ans, je n’ai pu entrer qu’une seule fois au Maroc. Après une grève de la faim que j’ai observée pendant 30 jours et en raison d’une période de rencontres entre le Maroc et le Polisario sous l’égide de l’ONU en Suisse,  j’ai pu aller deux jours au Maroc. Mais la fois suivante j’ai été refoulée. J’ai été expulsée en 2019 et le recours que j’ai fait devant la justice marocaine pour obtenir l’annulation de cette interdiction a été clair. Il est écrit que je suis un trouble à l’ordre public et dangereuse pour la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat. C’est écrit en toutes lettres, donc je ne sais pas comment cette situation va pouvoir évoluer. Mais pour le moment, je suis bel et bien interdite de séjour et c’est clair que les autorités marocaines veulent nous punir mon mari et mon moi.

Vous disiez que votre mari avait récemment écrit une tribune sur le droit à la colère, il n’est pas abattu par l’enfermement ?

Non, Naâma ne se victimise pas. Pour lui,  la prison est un acte de résistance. Et "résister, c’est exister" disait Mandela. Pendant ces longues années d’enfermement, il a approfondi la philosophie, le stoïcisme l’inspire beaucoup. C’est souvent lui qui m’encourage quand je suis fatiguée de toutes ces situations. Il dit toujours que la prison l’a libéré. C’est un paradoxe mais oui elle l’a libéré. Il a pris conscience de ce que son propre père avait vécu, et de qui sont les bourreaux. Ce qui lui permet aujourd’hui de rester un homme debout, encore plus qu’il ne l’était auparavant, bien qu’il soit privé de liberté.

Le 25 novembre prochain, la Cour de Cassation va examiner le cas de Naâma. On attend bien sûr une issue favorable mais rien n’est moins sûr. On souhaiterait que le Conseil de sécurité nomme un nouvel envoyé spécial parce que cela fait 18 mois que le dernier a démissionné. Il n’est toujours pas remplacé, le Maroc refusant tous les noms proposés. 

Nous demandons à la France d’user de son amitié avec le Roi du Maroc pour obtenir la libération de tous les prisonniers politiques.

Les militants Sahraouis et d’autres sont des prisonniers d’opinion qui, comme le disent et le répètent tous les mécanismes spéciaux de l’ONU, sont en détention arbitraire. Ces détentions sont arbitraires. Ces hommes sont en prison parce qu’ils ont pris la parole pour demander le référendum d’autodétermination et pour réclamer l’indépendance et la liberté.

Avec la collaboration de Caroline Bennetot